Le numérique responsable : l’affaire de tous !
CONTEXTE
INTRODUCTION AU SUJET
Le numérique responsable est défini par le collectif Green IT comme :
À ce titre, de nombreuses publications et démarches à ce sujet sont développées. En octobre 2018, le rapport de The Shift Project “Pour une sobriété numérique” tirait la sonnette d’alarme sur l’empreinte environnementale du numérique en démontrant que le développement rapide du numérique génère une augmentation forte de son empreinte énergétique directe. La consommation d’énergie du numérique est aujourd’hui en hausse de 9% par an. Selon les études développées dans ce rapport il est possible de ramener ce chiffre à 1,5% par an en adoptant une posture de sobriété numérique tant au sein des entreprises que dans ses usages personnels.
Selon le Baromètre du numérique publié en novembre 2019 par le conseil général de l’économie : si seulement 52% de la population s’estime suffisamment informée des impacts environnementaux du numérique, 80% de la population a envie de réduire l’empreinte environnementale de ses équipements (69% de réduire l’impact de ses usages). Il semble donc indispensable de mettre en place des actions de sensibilisation et d’information, mais également des actions de transformation en profondeur de nos systèmes et organisations.
Une feuille de route “numérique et environnement” portée par le gouvernement ayant pour objectif de faire converger les transitions numériques et écologiques a été publiée en février dernier. Cette stratégie nationale vise à améliorer la connaissance des différents impacts du numérique sur l’environnement, à les maîtriser et à mettre le potentiel d’innovation du numérique au service de la transition écologique. Dans cette dernière, différentes pistes d’actions sont dressées, notamment la mise en place d’un baromètre environnemental des acteurs du numérique, le lancement d’une campagne sur les bonnes pratiques pour utiliser ses outils numériques en minimisant son impact environnemental, ou encore l’adoption de l’éco-conception par les services publics numériques.
Des acteurs associatifs animent une dynamique à ce sujet, à échelle locale et nationale. Nous pouvons notamment citer Les Designers Éthiques, qui ont lancé leur guide d’éco-conception numérique à destination des designers. Ou encore l’événement Frictions Numériques porté par Oui Share, en début d’année et ayant pour but d’explorer ce sujet au sein des entreprises privées et des organisations publiques.
EXPERT·ES INTERVENANT·ES
- Sophie Sabos (e.Sncf – Directrice Numérique Responsable)
- Agnès Crepet (Fairphone – Responsable “software longevity”)
- Hélène Maitre-Marchois (Fairness – Product owner Numérique Responsable)
- Hervé Rivano (INSA Lyon – Chercheur et professeur)
- Cédric Petit (EDF – Responsable innovation IT)
SYNTHÈSE DES ÉCHANGES
LE NUMÉRIQUE, LEVIER OU FREIN DE LA TRANSITION ENVIRONNEMENTALE ?
impact environnemental et social du numérique
COÛT ÉNERGÉTIQUE
Il est donc indispensable d’analyser le cycle de vie complet d’un produit ou service final : de sa fabrication/production (et les conditions de cette dernière : extraction de matières premières, origine de ces matériaux etc.) à sa fin de vie (traitement des déchets électroniques, recyclage etc.). 75% du coût d’un téléphone concerne finalement sa fabrication.
Approche éco-socio responsable
enjeux soulevés au sein des entreprises
Le numérique : un accélérateur de la transition écologique ?
Livre blanc numérique et environnement (2018)
Les entreprises ont sans conteste un rôle à jouer dans cette transition. À ce titre, certaines s’engagent progressivement dans des démarches vers un numérique responsable. EDF a notamment mis en place plusieurs actions en ce sens :
- Être signataire de la charte du numérique responsable (depuis Octobre 2020 avec L’Institut du Numérique Responsable).
- Engager une démarche numérique responsable impliquant l’ensemble des métiers du groupe.
- Adopter en conseil d’administration (en mai 2020) une raison d’être vers un avenir neutre en CO2.
GESTION Du « déchet numérique »
L’un des principaux enjeux soulevé au sein des entreprises concerne la fin de vie des produits et la gestion des déchets électroniques et du parc informatique. La direction digitale e.sncf a mis en place « La Grande Collecte » en octobre 2020 au sein du groupe SNCF. À la suite du passage à Windows 10, de nombreux PC du groupe ont dû être changés, jugés incompatibles avec les exigences professionnelles de la nouvelle version de l’OS et le déploiement de nouveaux services digitaux. Cette collecte de matériel jugé obsolète a permis de donner une seconde vie à plus de 25 000 PC et de les remettre sur le marché via le réemploi (70%), la réutilisation de pièces (20%) ou le recyclage (10%).
Cette Grande Collecte a permis :
- D’accélérer la réflexion au sein du groupe : envisager l’élargissement de cette collecte à d’autres objets du parc informatique (tablettes), se tourner vers des modifications d’interfaces (avec l’inclusion d’indicateurs environnementaux) permettant aux DSI métiers de gérer leur parc de matériaux sont également en cours.
- De rendre la problématique du numérique responsable tangible : l’axe déchets est « visible » et permet de sensibiliser le plus grand nombre (entreprises, salariés).
- De réfléchir aux raisons de ces déchets et mettre le doigt sur des points stratégiques : comment avoir une juste politique de dotation, adaptée aux usages des collaborateurs ?
VERS UNE CONCEPTION NUMÉRIQUE À FAIBLE IMPACT
L’exemple de fairphone
Concevoir de manière responsable ?
Depuis 2010 – via une campagne de sensibilisation autour des conflits dans les minerais – et 2013 – avec le lancement du premier Fairphone – l’entreprise tend à faire comprendre à tous l’industrie de l’électronique actuelle et à divulguer son fonctionnement et son impact à échelle globale.
(* En savoir plus sur l’écologie décoloniale.)
Leur philosophie pour concevoir de manière responsable s’organise autour de 4 piliers :
- Les matériaux éthiques : 8 matériaux extraits dans des mines où ils sont présents en grande quantité (contre 40 dont des minerais rares pour les smartphones classiques).
- Les conditions de travail décentes : implication des travailleurs dans les négociations, revenu décent, conformité des usines d’assemblage etc.
- Une conception durable : le Fairphone dure 7 ans et est modulable (écran, batterie).
- Le recyclage : 75% est du plastique recyclé.
l’exemple de fairness
Une démarche vertueuse pour tous·tes
Fairness s’engage dans cette conception plus responsable, en jouant l’intermédiaire entre les clients, les utilisateurs et les coopérateurs. Les projets développés visent à être :
- Respectueux de l’environnement : moins consommateur de ressources au global (interfaces moins consommatrices de data / ressources), plus frugal (se recentrer sur les fonctionnalités essentielles).
- Respectueux des individus : moins intrusif / manipulateur (moins de notifications, éviter les dark patterns), plus inclusif (rendre les interfaces accessibles par tous : accessibilité numérique).
SOBRIÉTÉ NUMÉRIQUE ET INNOVATION, UNE CONJUGAISON AU PLURIEL
leviers d’action au sein des entreprises
Au sein des entreprises, il est nécessaire de faire en sorte que le numérique responsable ne soit pas un ajout au projet – pour se donner bonne conscience – mais bien un indicateur / critère (comme peut l’être la finance) transversal à tout le projet, initié dès son origine. Il doit être décliné tout au long du cycle projet : fonctionnalités / gestion de la donnée / architecture / développement etc. et interroger chacun des experts intervenant dans la chaîne de production. Cela peut notamment prendre la forme de comités de validation de projet.
Bonnes pratiques initiées par les salarié·es
Cette démarche a été développée aux côtés de l’association des grands paralysés de France. En 2021 elle va être déployée sur l’ensemble des sites de production. À cette échelle globale, cela pourrait représenter environ 300 000€ d’économie par an.
vers une sobriété de nos usages ?
Une situation complexe
Hervé Rivano – INSA Lyon
La responsabilité des utilisateurs est souvent surestimée. Les usages sont présents justement car ils sont rendus possibles par la technologie mise en place, les dark patterns ou encore le design de l’attention. Ce dernier vise à s’appuyer sur des biais cognitifs pour développer des services et produits addictifs qui ont pour but de capter notre attention (le persuasive design a été théorisé par Nir Eyal autour de 4 piliers : déclencheur – action – récompense – investissement). Prenons l’exemple des réseaux sociaux (Twitter, Facebook ou Instagram, fonctionnant tous les 3 sur la même base) :
- Déclencheur : Notifications, temps d’attente
- Action : Ouvrir l’application
- Récompense : Re-post (lien, sentiment d’être « suivi »), nouveaux posts de personnes de son réseau (lien, actualité)
- Investissement : Poster à son tour
Plus globalement, notre usage peut être énergivore, en grande partie car celui-ci est rendu possible. Il est donc important de retrouver l’usage initial des objets et produits, en produisant ces derniers de manière frugale et responsable (cf : Vers une conception numérique à faible impact). L’usager seul ne peut être garant de son usage responsable du numérique.
RÉ-HUMANISER LE NUMÉRIQUE
indicateurs de la responsabilité
Tout le monde peut et doit être contributeur d’un numérique responsable à son échelle (quelques pistes d’action sont identifiées ci-dessous – liste non exhaustive) :
- Les concepteurs : en intégrant les principes d’eco-conception dans leurs projets et en inspirant leurs clients à se tourner vers ces démarches etc.
- Les utilisateurs : en regardant l’indice de réparabilité de leurs produits (avoir une meilleure information du consommateur sur le caractère plus ou moins réparable de ses achats), en se renseignant sur l’origine et le contexte de production de ces derniers etc.
- Les entreprises : en mettant en place des procédés de valorisation des déchets électroniques produits, en intégrant le numérique responsable comme un filtre et un indicateur tout au long du cycle projet etc.
éveiller les consciences
À terme, pour atteindre un objectif de numérique responsable, il faut mettre en place :
- Des actions de sensibilisation et du vulgarisation technique pour expliquer comment sont fait les produits, quel est l’impact du numérique, quels sont les procédés utilisés pour contraindre notre usage etc. Cette sensibilisation permet d’activer une prise de conscience chez les utilisateurs et à terme, de modifier leurs usages et comportements.
- Des lieux repères – offrant l’opportunité d’accueillir ces actions de sensibilisation – où le citoyen (et l’utilisateur) peut devenir acteur en passant de l’intention à l’action : fablab, repaircafe etc.
- Des dynamiques collectives pour créer de nouveaux modèles : Fairphone s’est notamment beaucoup appuyé sur la communauté OpenSource pour la création de son produit (bénéficier de leurs retours d’expérience en termes de bonnes pratiques). Enfin, en 2021, l’entreprise travaille à la création d’un indice de réparabilité en collaboration avec plusieurs autres structures (notamment Commown) pour créer des produits différemment.